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Népal au cœur de l’hiver

 

Cette nuit, le brouillard, qui se glisse dans les fonds de vallée, a enveloppé les arbres d’une gangue de glace. Aujourd’hui, samedi, c’est marché à Namche Bazar, situé à la confluence de deux vallées, à trois jours de marche du Nangpa La, un col qui fait la jonction avec le Tibet. Tout au long du chemin, nous rencontrons des porteurs qui montent et descendent de lourdes charges entre Namche et Monjo ou Lukla : des matériaux de construction, des vivres, des jerrycans d’essence, etc. J’essaie de soulever une hotte, mais reste le cul collé au rocher : 80 kg m’assure Sonam ! Rien à voir avec le portage, à l’époque du trekking, bien plus rémunérateur et moins lourd : entre 25 et 30 kg, une véritable sinécure ! Les jeunes, habillés à l’occidental, écoutent de la musique indienne sur leur Ipod et profitent d’un arrêt pour envoyer un SMS à leurs copines en vacances à Katmandou.  Tout fout le camp, mon bon monsieur !

Heureusement, quelques traditions perdurent. Alors que la journée touche à sa fin, quelques anciens titubent dans la descente… Oh, ce n’est pas la charge, leur panier d’osier est vide, mais plutôt l’effet d’un abus de rakshi, l’alcool de riz népalais, après une bonne vente.  Une scène à la Giono sur les pentes de l’Himalaya…

 

Nous émergeons bientôt au soleil de Namche Bazar, dominé par la pyramide du Thamserku et l’imposante muraille du Kongde. Dès notre arrivée au village, Sonam, Saila et moi sommes entourés par des enfants Tamangs et Sherpas qui ont reconnu mes compagnons. Ils jouent, font des grimaces pour attirer notre attention, des grimaces que je leur retourne, me rappelant une scène du capitaine Haddock dans « Tintin au Tibet », déclenchant une cascade d’éclats de rire.  Seul Westerner dans cette haute vallée, au cœur de l’hiver, je m’installe peu à peu entre le froid et le bleu du ciel. Accompagné par le vent, je me perds dans les Mani de la carrière au dessus du monastère où claquent les les chevaux de vent, les Lungtas.

 

Nous poussons plus haut notre randonnée pour nous approcher de la cime parfaite de l’Ama Dablan, la longue crête du Nuptse et la pyramide un peu inquiétante de L’Everest. Contrairement à son habitude, Sonam a l’œil un peu triste, en souvenir, sans doute de Pasang Lhamu Sherpa, sa première épouse, première « summiter » népalaise, devenue une héroïne nationale, décédée lors de la descente. A ces faces noires, à ces sommets un peu trop hauts, je préfère le regard vif de ce vendeur tibétain venu de Chine, par le Nangpa La (5700 m..), vendre ses ballots de chaussures, made in Chengdu. Padzen, originaire de Tigri est resté seul avec son frère à Namche pour finir d’écouler sa marchandise. Le reste de la caravane est repartie avec les yaks. Un porteur chargé  d’énormes ballots lui achète une paire de chaussettes. La journée n’est pas foutue ! Comme tout le monde ici, ils portent l’uniforme népalais : une copie de doudoune North Face. Il faut cela, pour résister au froid dans une tente improvisée ouverte à tous les vents ! Pour nous, ce sera nettement plus confortable. Seuls clients du Yeti Mountain Lodge, l’équipe de Sonam nous soigne comme des hôtes de marque en nous gavant de momos, de rösti et de Dal Bath arrosés de bière « Everest »… que nous éliminons, heureusement, avec de belles dénivelées.

 

Retour à Katmandou après un vol d’anthologie… En survolant ces piémonts de l’Himalaya, nous imaginons de nouveaux itinéraires, de village en village, de monastère en monastère,  loin de l’agitation des « best sellers » que sont la route de l’Everest ou le tour des Annapurnas. C’est largement faisable dans ces « collines » qui ne montent que jusqu’à 4000 m, avec en toile de fond les 7000 du massif du Rolwahaling :  Gauri Sankar ou autre Melungtse. L’occasion de renouer avec le Népal ancestral, avec un accueil traditionnel, non monétisé…

 

Katmandou… Il faut aller au delà du bruit, des dépôts d’ordure sauvages, de la fumée, de la brumasse qui étreignent et éreintent la ville. La faute à l’absence de notion même de politique publique. Royauté ou maos… La corruption est bien plus forte que l’intérêt général. Pendant ce temps, l’Inde et la Chine décollent…

 

Janvier, c’est le mois idéal pour se perdre dans les méandres des trois Durban Square : Bakthapur, Patan, Katmandou, sièges des trois royautés de la vallée. Les touristes sont rares et comme les vieux coiffés de leurs topi,  nous nous installons avec Saila sur la margelle d’un puits pour prendre notre ration de soleil. Nous nous amusons, à identifier parmi les passants, les différentes ethnies : gurungs, rai, magars, tharu, etc. On en compte plus de 70… Ethnies et castes, héritages d’une histoire mouvementée entre hindouisme et bouddhisme entre peuples indo-européens et mongols. Malgré les encouragements du gouvernement à promouvoir les mariages mixtes, le système des castes est encore sensible. Ainsi, seuls les Brahmines et les Chetrites ont réellement accès aux études supérieures, aux postes administratifs.   Les sherpas, eux haussent les épaules. Là haut dans leurs montagnes du Khumbu, tout près des étoiles, ce sont eux, les seigneurs et leurs rois s’appellent Sonam, Angpa (vingt deux fois l’Everest), Tenzing, l’homme qui a permis à un obscur neo-zelandais d’atteindre le sommet du monde et la postérité.

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