Le Tour du Chimtarga
Amoureux de l’Asie Centrale, et des anciennes républiques soviétiques, en général, il me tardait d’explorer le Tadjikistan, ce vrai pays de montagne, qui commence à s’ouvrir au tourisme.
C’est ainsi que cet hiver, j’ai préparé à l’aide de mes collègues un circuit inédit : « Le Grand Tour du Chimtarga ». Notre ambition était à la fois de couvrir les « incontournables » de la région tout en parcourant la haute montagne et en découvrant des vallées et des cols peu connus. Pour cela, nous avons réuni une dizaine de clients ayant une longue expérience des treks en zones isolés. Aucun d’eux n’a protesté lorsque je les ai avertis que pour cette reconnaissance, il était possible, voire probable, qu’ils aient à essuyer quelques plâtres. Certains mêmes se félicitaient d’avance de cette dose d’inconnu. Un retour à l’aventure.
Une brève vue d’ensemble
Les montagnes Fannskye, tirent probablement leur nom de « fontaine (fannteïn en russe)». Ces montagnes, essentiellement sédimentaires, perméables, véritables éponges, (calcaire, dolomites) reposent en effet sur un soubassement de schistes imperméables qui récoltent et canalisent l’eau capturée. Le paysage est ainsi composé de falaises hautes parfois de plusieurs milliers de mètres, colorées par des coulées ferrugineuses et parfois couvertes de glaciers quasiment verticaux ; de fonds de vallée verdoyants où coulent des torrents impétueux ; de plateaux, de cuvettes où reposent alpages et lacs profonds aux eaux cristallines. Le climat est résolument continental et sec ; l’assurance d’un ciel d’azur en été. Cependant, la haute altitude de certains sommets (plusieurs au-delà de 5000m : Chimtarga, Moscou, Grand Ganza), la clarté de l’air, encouragent une convection thermique importante qui peut générer en fin d’après midi quelques précipitations orageuses.
Si la partie Nord des Fannskye (lacs Alaudin et Kulikalon) est parcourue régulièrement par des groupes Allibert, les vallées au Sud du Chimtaraga, le col du Chimtarga restent encore très peu pratiquées, en dehors de quelques alpinistes de l’ex-URSS. Une des difficultés de ce circuit consiste à combiner une logistique mixte avec des animaux de bâts puis avec des porteurs, dans une région qui n’a plus de tradition de portage humain.
Les lacs
Simplement magiques ! Lacs Kulikalon qui s’enfilent comme des perles le long d’un torrent aux eaux poissonneuses. Ne manquez pas les deux lacs supérieurs, tanqués au pied de la falaise d’où se précipitent d’énormes blocs de séracs qui se vaporisent avant d’atteindre la moraine. La baignade y est glaciale, mais l’ambiance y est incomparable. Plus secret, le lac Pitshikul, aux eaux profondes et tout aussi froides. Au fond, une vallée encaissée nous invite à l’exploration. Lac Alaudin aux eaux turquoise, comme ces faïences qui décorent les mausolées de Samarcande, érigées en mémoire des femmes de Tamerlan. Glacial et austère : le lac Mutnye encerclé par les sédiments gris qui s’échappent des glaciers dévalant les pentes abruptes du Chimtarga. Enfin, mon préféré, sauvage à souhait, presque austère, que l’on découvre au dernier moment : le Grand Lac Allo (Bolchoïe Allokul) enserré dans son écrin de falaises ocre. On ne peut y accéder que par des cols de haute montagne ou par une vallée « prison » (c’est son nom), farouchement défendue par des pierriers de géants provenant d’une montagne écroulée voilà 92 ans.
Les Filles
Allez savoir pourquoi ? Je trouve les filles tadjiks beaucoup plus intéressantes que les garçons (sympathiques au demeurant) ! Regards clairs comme les eaux du lac Alaudin ; postures droites, à peine cambrées, fières ; tenues élégantes en toute occasion : pour préparer le thé, récolter quelques abricots délicieux ou rassembler les chèvres. Étoffes bariolées, rouges claquants sur fond de glacier, mousselines mauves des élégantes… Coquettes, indépendantes, elles ne nous pardonneraient pas de ne pas les prendre en photo, de ne pas échanger quelques mots avec elles. Elles nous interpellent lorsque nous passons : « Venez, venez… Le thé est chaud, le yaourt est délicieux ». Un jour, près du lac Kulikalon, nous rencontrons Zakia et Ferrestah qui ont lancé un filet dans une petite crique. Zakia est la plus effrontée et s’amuse à nous prendre en photo, à échanger nos couvre-chefs. Ferrestah, s’impatiente… Il est temps de récupérer les quelques poissons qui se sont égarés dans les mailles. Elle relève sa jupe jusqu’aux genoux et s’enfonce dans l’eau. Avec Zakia, nous rions de la voir s’avancer dans l’eau, sans se mouiller certes, mais surtout en essayant de ne pas relever plus haut sa longue jupe. Elle sort alors du bain en feignant la colère et m’invite à aller récolter les poissons. C’est donc en pantalon (décence oblige…) que je m’avance en me mouillant jusqu’à la taille alors que Ferestah se tord de rire !
La Haute Montagne, les alpinistes…
Domaine des aigles, des gypaètes la haute montagne tadjiks défend bien son territoire. Au-delà de 3500 mètres nous pénétrons dans le domaine du minéral : glaciers suspendus, pierriers, falaises impossibles. Plus haut, encore, vers 4800 mètres, les pentes s’adoucissent et les glaciers prennent une pente plus alpine, moins acrobatique pour rejoindre les cimes. L’air y est pur et la nuit s’éclaire comme les plus beaux ciels de déserts. C’est cela… Nous sommes, à la fois en haute montagne et dans les déserts avec le même sentiment de solitude et de plénitude, loin de l’agitation de nos montagnes alpines ou des camps de base himalayens.
Bon, soyons honnêtes…. Nous avons rencontré en haute montagne, plus de monde que dans les vallées secrètes rayonnant autour d’Archmaidan. En effet, pour une raison que j’ignore, une centaine d’alpinistes lituaniens avaient fait le projet de rejoindre le Pic Energie, qui fait face au Chimtarga, pendant ce mois d’août. Si certains semblaient bien équipés, d’autres utilisaient encore des cordes statiques de l’époque soviétique et la plupart semblaient manquer singulièrement d’expérience en montagne. Cela nous a valu de monter, en urgence, une caravane de secours (voir le carnet de route : « sauvetage au Pic Alaudin ») puis de survivre à une sérieuse chute de pierre déclanchée par nos amis aux pieds de scaphandriers.