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Ciudad Perdida - Colombie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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El Gordo, au volant de notre vieux Toyota brinqueballant, plisse les yeux puis ralentit en vue du petit phare inondé de soleil.  Si la piste est large, elle est envahie par les colonnes acérées des cactus épées, les « Yosùs» et criblée de vastes entonnoirs… « Un ancien aérodrome clandestin utilisé par les narcos pour s’envoler vers la Floride, voilà une dizaine d’années. L’armée l’a bombardée pour la rendre inutilisable » me confie Matteo en rigolant ! Enfin, nous arrivons à Punta Galinas. Je marche vers les dernières terres de ce cap, les mollets battus par les vagues, tantôt sur le sable, tantôt sur les rochers couverts d’algues. « Y qué ? » m’interroge Alvaro. Je secoue la tête, puis, après un moment d’hésitation : «  Estoy Seguro de la posicion. El punto mas Norte esta aqui. Mira ! » Preuve de ma bonne foi, je leur montre le GPS : 12° 27’ 30.65’’ Nord contre 12° 27’ 30.44’’ mesuré deux cent mètres plus à l’Ouest : presque un mètre plus au Nord. Ils secouent  la tête… « Fueron los viejos incorrectos ? »

 

La question est cruciale, puisqu’il s’agit de déterminer avec exactitude, l’extrémité septentrionale de l’Amérique du Sud ! Dans ce bout du monde, ce Nord du Sud, l’extrémité de la péninsule de la Guajira, nous sommes les hôtes de la famille de Alvaro et de Rosaria de la communauté des indiens Wayuus. De vrais voyous ces Wayuus !  Fiers et insoumis, un peu roublards, ils  descendent des paisibles Arawaks, chassés des Antilles par les colonisateurs et réfugiés sur ce bout de Sahara sur Mer.  Ils ont depuis farouchement défendu ces terres ingrates contre les conquistadors,  contre l’évangélisation forcée des moines capucins. Aujourd’hui, les Wayuus, comme Alvaro, El Gordo, Nono et Rosaria, vivent en petits clans dans des « rancherias »  constituées de cinq ou six maisons, refusant de se grouper en villages ou en villes, se tenant à distance, pour ne pas mélanger les chèvres laissées en liberté, pour ne pas épuiser les ressources de pêche.

 

Le soir, enroulés dans nos chinchorros, de grands hamacs multicolores, bercés par le roulement des vagues qui viennent mourir sur l’immense plage, nous attendons que Venus donne le signal de l’embrasement de la voute céleste. Le spectacle est incroyable : étoiles filantes des Perséides, constellations de l’Aigle, du Cygne, mais aussi sur l’horizon le rideau lumineux des cumulonimubus qui coiffent la sierra Nevada de Santa Marta à l’Ouest et le golfe de Maracaibo à l’Est. Nos rêves sont interrompus par un nouveau trait de lumière : le fidèle Toyote à ridelle qui nous apporte les bières soigneusement entreposées dans la glaciaire et le diner: langoustes à peine pêchée, à volonté !

 

Parfois, lorsque la lumière est trop forte, nous nous abritons sous nos parapluies ombrelles, tels des anglaises tentant de protéger leurs teints de porcelaine. Alors que nous passons au sommet d’une colline, Alvaro s’assoit à l’ombre d’une petite enramada au  toit de fibres de cactus. Il nous dit que les Wayuus sont enterrés là avec leurs affaires puis sont exhumés deux ans plus tard lors d’une grande fête familiale. Les restes des défunts sont placés dans des urnes funéraires et inhumés de nouveau alors que le clan se rassemble à l’ombre des ces abris pour boire force bière et aguardiente  en l’honneur du disparu. Son âme est alors libre de s’envoler, depuis le promontoire du Pilon de Azucar vers leur univers mythique peuplé de Dieux : Mareiwa, le fondateur de la race Wayuu, Wanulu, le Dieu de la mort…

 

 

Quelques jours plus tard, nous suivons, dans la Sierra Nevada de Santa Marta, notre nouvelle équipe en habits traditionnels, des Wiwas. Ils vont nous aider à mieux pénétrer les secrets de ces montagnes mythiques,  d’approcher au plus près du « Coeur du Monde »,  aux éclats glacés, le  Pizzo Cristobal Colon ! Nous nous engageons sur une étroite « trocha »  surplombant d’une cinquantaine de mètres le torrent rugissant. Si la végétation, qui nous recouvre, camoufle le vide, un faux pas ici serait lourd de conséquences ! Alors que nous nous apprêtons à traverser un rio, une tâche claire se détache de la végétation: un indien au teint plus foncé, plus petit encore que nos Wiwas : un Kogi. Il porte dans les mains son inséparable poporo, aux airs de bilboquet renversé. La calebasse est remplie de coquillages incinérés pour fournir la chaux. Le petit homme y enfonce sa tige de bois,  la porte à la bouche : la chaux active la boule de coca qu’il mâche en permanence et qui change alors de couleur. Après quelques secondes il humecte de sa salive jaunâtre le bâton pour la déposer, avec son bâton-archet, sur le cylindre surmontant la calebasse  qui s’épaissit ainsi peu à peu, écrivant ses pensées et ses rêves, communiquant ainsi avec les Dieux…

 

Enfin, après  une ultime baignade dans un torrent, nous entamons la longue ascension des 1500 marches couvertes de mousse qui mènent à la Cité Perdue. Arrivés à une première terrasse, nous nous déchaussons et faisons, pieds nus, un tour sacré en prenant garde de bien marcher sur toutes les pierres. Enfin purifiés, nous pouvons accéder, à 1200 mètres d’altitude, aux grandes plateformes cérémonielles, seuls au monde, face aux parois verticales couvertes de végétation luxuriante, face aux cascades sans fin. Awimaku profite de ce moment de grâce pour nous montrer un trou rehaussé de pierres de taille et essaie de nous convaincre qu’il s’agit d’un tunnel pour rejoindre les 9 mondes, les sources de la connaissance, ainsi que l’ensemble des lieux sacrés de notre terre comme Machu Pichu ou Stonehedge…

 

Encore envoutés, après avoir écouté et senti le cœur de Mère Nature, nous délaissons, le lendemain, les sentiers bien marqués pour nous élever encore un peu plus dans les profondeurs de la forêt primaire. Au cœur des ténèbres aurait écrit Joseph Conrad… Awimaku, Tanemaku et Silbido jouent tour à tour de la machette pour dégager un sentier en suivant une vague trace inusitée depuis plusieurs mois. Nous prenons garde où nous posons les pieds et les mains afin d’éviter les araignées, les scolopendres, les lianes urticantes. Là haut, le soleil disparaît enveloppé par les nuées de feuilles palmées, lancéolées, multi pennées, alors qu’une nuée de perroquets proteste bruyamment contre notre intrusion, qu’un toucan appelle sa belle d’une succession de cris aigus puis graves presque gutturaux, sans égard pour la torpeur qui nous envahit.

 

Une raide montée, nous transformant bientôt en  fontaine de sueur, donne accès à un beau parcours de crête où nous slalomons entre de gros blocs de quartzite et les excavations laissées par les Guaqueros, les pilleurs de tombe. Awimaku nous explique qu’il n’est pas rare, encore aujourd’hui de trouver dans ces  forêts sauvages des bijoux en or, des masques de cérémonie. D’ailleurs…

 

Nous gagnons maintenant au pas de course les hauteurs de Alto de Mira que nous voyons bientôt émerger de la cime des arbres géants. Halte ! Awimaku nous arrête, à peine le temps de voir un boa constricteur épais comme un bras filer sur le chemin pour se réfugier dans les herbes hautes : le portier de l’ancienne citadelle Tayrona, un site archéologique aussi riche, sans doute, que la Cité Perdue. A peine le temps de prendre en photo notre équipe, quelques colibris voltigeurs, que les tours de la cathédrale s’écroulent dans un bruit de cataracte déversant sur nous et sur notre abri des torrents et des rivières d’eau tiède, l’aventure....

 

Pendant trois jours nous marcherons seuls au monde,  de crête en crête, de rio en rio, de Cuenca en Cuenca, nous émerveillant de l’éphémère et délicate beauté des papillons, des oiseaux. Enfin, après l’ultime rio (c’est ce que nous avions cru), nos premières bières dans un hameau de rancheros où nous aurions dû rencontrer nos 4x4… Les fortes pluies, qui ont sévi la nuit précédente, ont emporté un bout de route et nous imposent une prolongation pédestre avec un dernier passage de rio aux eaux boueuses sur un arbre abattu par nos « indianos », assurés par un brin de corde.  L’aventure…

 

Nous arrivons de nuit et de pluie à Cartagena de Indias, la reine des Caraïbes. Passés les épais remparts, nous sommes projetés au temps de Richard Drake, de Henry Morgan, des corsaires français, pirates ou gentilshommes,  luttant contre les espagnols. Carthagène : l’escale idéale pour se refaire une petite santé en lisant « El Amor en los tiempos del collera » de Gabriel Garcia Marquez, à l’ombre des thuyas de la place Bolivar ou des vinaigriers de  la Plaza San Diego. Cartagena de la noche où nous nous égarons dans un bar à la Hemingway, de la calle de la media luna, pour un cours improvisé de salsa au bras d’une cousine de Penelope Cruz. L’aventure vous dis-je !

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