Lofoten et Alpes de Lyngen (Norvège)
Lundi 13 août…
Quelle drôle d’idée de commencer ses vacances par le Terminal 1 de Roissy, gris sale et sinistre à l’image de l’arrière-cours d’un supermarché de banlieue.
Heureusement, nous voilà bientôt à Olso-Gardemoen où nous faisons escale entre Paris et Bodoe. L’aéroport est baigné de lumière et la foule des voyageurs se déplace sans énervement. Enfin, voilà à Bodoe, la porte d’entrée des Lofoten… Le programme du soir est chargé : récupération des clés de nos chalets et courses pour quelques jours...
Mardi 14 août…
Le ferry qui nous emmène aux Lofoten roule et tangue dans une mer déjà formée. Bientôt celle-ci compte ses premières victimes qui s’installent, le teint blafard sur un transat du pont arrière, pendant que les autres, joviaux, attaquent la deuxième tournée de saucisson de renne. L’arrivée à Moskenes est un émerveillement : Imaginez les Drus ou la Verte se jetant dans une baie des Marquises. Oui, c’est à peu près cela...
A peine le temps de poser nos affaires dans une maison de rameurs (Rorbu) et nous voilà partis à l’assaut d’un col situé à plus de 350 mètres. Vous souriez ? Pourtant l’affaire est sérieuse, avec une approche dans les vernes, les bouleaux et les tourbières et des pentes de 35-40° glissantes comme une piste de bobsleigh. Notre effort est récompensé par une vue plongeante sur les lacs et la mer. Nous ne rentrerons qu’à 20h… Ce soir : soupe de poisson des Lofoten et saumon façon Marie !
Mercredi 15 août
Nous gagnons à pied le départ de notre rando vers le refuge de Munkebu. Celle-ci parcourt agréablement une succession de lacs situés à différents étages. Avant-dernier étage : nous nous arrêtons pour pique niquer à l’abri du vent profitant du soleil qui joue à cache-cache. Avec les plus courageux, nous entreprenons l’ascension du Munkar à près de 800 m. Puis tous ensemble, nous sortons des traces pour explorer des vires et des plateaux suspendus au bord du vide. De retour au chemin, l’avant-garde presse le pas pour faire un complément de courses alors que l’arrière-garde est de corvée de myrtilles. On a connu pire !
Jeudi 16 août
Après un court transfert, nous tentons l’ascension du sommet dominant Reine. Hélas, le sentier, assez exposé, est rendu très glissant par les pluies nocturnes. Si Sandrine cavale en tête avec le sourire, la nervosité gagne les autres marcheurs. Alain, notre spécialiste des destinations polaires, jette bientôt l’éponge. Je décide d’interrompre la rando et d’encorder les plus inquiets lors d’un passage délicat à la descente. Tant pis pour le sommet, mais tant mieux pour la balade en bord de mer et la sieste sur les rochers bercés par le bruit des vagues…
Nous voilà bientôt à Fredvang où nous attend une confortable Sjoehus (grande maison de pêcheur). Malgré l’heure tardive, nous partons pour une randonnée dominant la baie de Sandbotten. Au sommet d’Ytresand (324m), nous admirons les plages de sable blanc, les eaux turquoise : un petit coin de Polynésie au nord du cercle polaire ? J’en profite pour repérer un passage possible pour la rando du lendemain entre la baie de Stokvik et le sommet du Ryten.
La journée s’achève en beauté, lorsque après une averse, le soleil couchant nous régale d’un incroyable double arc en ciel qui illumine toute le fjord. Un bateau de pêcheur traverse cette lumière irisée et semble passer au travers du miroir.
Vendredi 17 août
Mes amis marcheurs sont prévenus : la journée sera longue ! Nous partons donc pour faire l’ascension du Ryten, après une brève halte dans un refuge belvédère. La trace suit au plus près une falaise qui surplombe de 500 mètres la mer. Au sommet, je m’évade un instant vers l’Est et découvre un super coin à bolets (leccinum versipelle) dont nous faisons ample provision.
C’est alors la descente expresse sur la baie de la Baleine (Kvalvik), où triste ironie, achève de pourrir la carcasse d’un cachalot, échoué depuis quelques mois. L’anse est large et nous trouvons une place idéale de pique nique. Sandrine qui ne recule devant aucune difficulté, et Patrick notre impeccable breton ne peuvent s’empêcher de piquer une tête dans l’eau glacée de la mer du Nord. « Ils sont fous ces Gaulois » semblent crier les pies huîtriers qui nous survolent en escadrille.
Samedi 18 août
Après une soirée arrosée et un détour par Nusfjord, nous mettons le cap sur Stamsund où nous attend une « randonnée du vertige ». Le départ, le nez dans les fougères, annonce la couleur : c’est du raide, du très raide ! Bientôt nous parcourons une étroite sente surplombant la mer. Mieux vaut regarder où l’on met les pieds. Un col est le bienvenu pour une pause pique nique… Il fait trop froid pour une sieste, nous reprenons notre progression et arrivons après un petit pas d’escalade facile au sommet. Nous poussons des cris de joie tant la vue est belle, partout où porte le regard. Au loin des grains orageux serpentent entre lacs, montagnes et baies. Nous attendons patiemment notre arc en ciel journalier qui ne tarde pas à venir !
Ce soir, après quelques courses, nous empruntons l’express côtier qui longe les côtes Norvégiennes du Nord au Sud. Nous nous sommes douchés et changés car nous pénétrons dans le monde feutré des croisiéristes… Installés dans le salon panoramique, les Lofoten défilent sous nos yeux alors qu’une nuit grise descend peu à peu. Je m’inquiète un peu de mon pied gauche qui enfle. J’ai choisi en effet des chaussures de montagne assez rigides parce que celles-ci sont imperméables et parce que je souhaite un bon appui dans les parties techniques et les pierriers des Alpes de Lyngen. Le prix à payer : des frottements et donc des ampoules…
Dimanche 19 août
Nous arrivons à 1h30 et rejoignons sans tarder nos chalets de Bodoe dans l’attente du transfert aérien pour Tromsoe, la capitale du Nord de la Norvège, point de départ de nombreuses expéditions polaires. Il pleut un crachin breton…et mon pied gauche continue à enfler. C’est donc en tongs que je pars faire les courses avec mon indispensable aide guide/cliente/épouse. Exercice difficile car nous sommes dimanche. Mais impensable de laisser notre équipe connaître les affres de la faim ! Confiance ou inconscience ? L’équipe ne semblent d’ailleurs guère préoccupée d’ailleurs et part à la découverte des musées et des bars de la ville.
Lundi 20 août
Miracle de la chimie organique… Mon pied est redevenu « normal » et mon moral remonte de douze crans. Il est temps de nous transférer à Lyngen et la ferme de Solvik. Celle-ci abrite un centre de recherche appliquée dépendant du MIT (Massachussets Institute of Technology) avec quelques superbes chalets pour abriter chercheurs et randonneurs. Arrivés, nous avons encore le temps de découvrir la presqu’île de Kvalvik (un nom de lieu décidément très commun) et entamons une belle ballade en bord de mer avec l’ascension d’un petit sommet : le Siedek’acca (je vous laisse libre de la prononciation). Afin de pimenter la promenade, j’emmène l’équipe sur un sommet secondaire perdu au milieu des vernes et des bouleaux, et encerclé de tourbières. Je sépare alors le groupe en deux équipes, chacune avec boussole et nous nous amusons à revenir aux chalets le plus directement et rapidement possible. C’est alors une course folle à genoux dans les taillis, la mousse, les fougères, entrecoupée de fous rires. Chacun élabore sa tactique de contournement des tourbières, avec plus ou moins de succès…. La douche du soir est salutaire !
Pour Patrick et moi la journée n’est pas terminée. Nous enfourchons des vélos trop petits afin de rejoindre Lyngenseidet situé à 11 km de là. Notre mission est capitale : nous approvisionner en bières. Hélas, malgré nos supplications, la vendeuse se montre inflexible : « No more beer after 5pm »… Nous rentrons penauds et épuisés (surtout moi), les genoux dans le menton.
Ce soir, nous mettons les pieds sous la table pour un superbe dîner aux chandelles : au menu : rennes en sauce avec airelles… L’après-dîner est consacré à des jeux de société. Chacun doit découvrir, en posant des questions quel est son personnage (collé sur son front à l’aide de Post it). Stupeur de notre hôtesse norvégienne qui croit avoir affaire à une secte !
Mardi 21 août
Grosse journée, nous partons assez tôt pour rejoindre le Rörnestind (1150m, à 15 km de là). Vers dix heures, un obstacle nous fait hésiter : un torrent en crue. Je me déshabille et passe en premier, l’eau glaciale en haut des cuisses, sur un fond bien glissant. Patrick, puis Sandrine me rejoignent bientôt sur un îlot central. Le reste de l’équipe se prépare lentement sans enthousiasme. Je sens l’hésitation monter. Si le passage est impressionnant, il n’est pas dangereux. Mais à quoi bon insister ? Nous sommes là pour nous faire plaisir, pas pour jouer les Rambos. Changement de programme : nous partons explorer la vallée de Rype. Pour cela, il faut monter sur la rive Sud, une pente très raide couverte de bouleaux. Bientôt la pente se calme et nous trouvons un immense plateau où s’ébrouent des rennes semi-sauvages. Une énorme moraine fossile nous pose quelques problèmes que nous résolvons en l’escaladant dans sa partie étroite. Enfin, c’est la remontée d’une vallée encaissée à la recherche des lacs de Rype où s’écoule un glacier suspendu dans le vide. La progression est difficile car le fond de vallée est un immense pierrier inondé. A 15h15, je donne le signal du retour. Nous parcourrons en effet plus de 20 km et 700 mètres de dénivelée en terrain difficile et ne serons de retour qu’à 19h30 à la ferme !
Mercredi 22 août
Nous voilà entraînés, nous partons donc à 7h30 pour une autre très grosse journée. Le bus nous emmène à Lyngenseidt et nous remontons la vallée de Gjerdel. Celle-ci est caractérisée par un grand cirque encerclé par les montagnes de Kvalvik et le Rörnerstind. Après les pentes raides viennent les pentes douces du plateau où de nouveau nous apercevons des rennes. Nous suivons le torrent pour arriver à un abri sommaire mais plein de charme. Les Norvégiens ont l’habitude d’y laisser un livre d’or où chaque randonneur signe sa présence en indiquant le nombre de passages. Ainsi Tormud est monté ici plus de 500 fois… Qui est Tormud ? Cette interrogation déclanche parmi nous des hypothèses délirantes et hilarantes. Nous laissons à la cabane nos sacs et nous nous partageons en deux groupes. J’emmène les plus motivés grimper un col situé à 1200 mètres dont l’accès est défendu par une belle pente entrecoupée de pierriers instables. Une dernière vire nous permet d’éviter une escalade hasardeuse et nous comprenons alors toute la signification du mot « Alpes Polaires » : il caille ! Vite à l’abri du vent pour nous régaler d’une vue sur les glaciers et lacs environnants.
Le retour à la ferme par le plateau d’Oksel est merveilleux : vues plongeantes sur le fjord, tourbières à myrtille et baies arctiques, lac d’Oksell occupé par une île miniature avec bouleaux et cèpes… La descente sur Sjolluhytta est tout aussi agréable. Armés de nos Tuppperware, nous faisons une razzia sur les myrtilles. « ne prenez que les plus grosses et les plus mûres »… Pendant que Alain, gavé de baies, s’endort dans un matelas de mousse bercé par les sonnailles des brebis. Le réveil est sportif, car il nous reste du chemin à faire. Un pont introuvable sur le torrent en furie nous impose une petite rallonge et nous arrivons finalement à la ferme à 19h, épuisés mais ravis après plus de 20 km et 1200 mètres de dénivelée. Ce soir saumon entier à l’étouffée, étiquettes sur le front et blagues de Bébert (« le petit nain », « le boudin noir », tout un univers !)
Jeudi 23 août
Si nous avons toujours évité la pluie pendant nos randos, la météo d’aujourd’hui nous laisse augurer le pire : vent, froid et pluie ! Pourquoi se plaindre, ne sommes nous pas dans les Alpes Polaires ? J’opte cependant pour la prudence avec un circuit longeant la vallée de Steindalen, et un beau refuge que l’on rejoint en une heure de marche. Bonne pioche, nous arrivons sous une pluie fine aux abords d’un refuge de rêve : sol ciré, rideaux de dentelles… Seul Hic, il est fermé, et pendant quelques minutes éprouvantes, je cherche la clé, simplement accrochée à un clou à quelques centimètres de la porte. Nous mettons immédiatement en route un feu de bois de bouleau. La tentation est grande de se laisser couler dans ce confort douillet. Mais non, je trouve de nombreux volontaires pour remonter la vallée et atteindre la langue terminale du glacier de Steindalen. L’approche dans la vallée qui s’élargit est de toute beauté. Patrick me rappelle que ces paysages sont très proches des décors du film « Jeremiah Johnson ». Enfin, le glacier qui recule à un rythme de 20 à 30 mètres par an. Profitons en !
De retour au refuge, le feu ronronne : Marie et Birgit ont coupé du bois, mis la table, allumé des bougies ! Pique-nique de luxe suivi d’une sieste alors que la pluie tambourine aux fenêtres. Nous profitons d’une accalmie pour nous engager sur le chemin de descente, mais nous sommes bientôt ralentis par une ultime corvée de framboises…
Vendredi 24 août
Nous n’avons qu’une matinée pour marcher. Je propose ainsi à mes amis de faire quatre équipes et de rejoindre le sommet annexe du Siedek’acca. Succès assuré… Les progrès en orientation sont spectaculaires car nous arrivons tous dans un mouchoir de poche. Nous descendons alors, « Dré dans le pentu » vers une crique magique, gardée par une petite maison et ses moutons. L’eau est limpide, à peine troublée par le filet d’eau douce qui coule de la colline. Une dernière occasion pour Sandrine et Patrick de s’immerger dans les eaux glaciales. Cet après-midi nous rejoignons Tromsoe par un bus de ligne qui nous fait découvrir de nouveaux paysages, de nouvelles lumières.
Samedi 25 août
Après un vol sans histoire, nous voilà de nouveau au Terminal 1 : 45’ pour récupérer les bagages, une alerte à la bombe à la station RER, des policiers énervés, une famille d’africains qui se fait houspiller par un préposé aux bagages… Welcome Back.
« Maman, c’est quand qu’on repart ? »