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Après une belle journée de marche dans les Monts Fannskye, nous avons prolongé l’après-midi par une promenade exploratoire autour des lacs supérieurs Kulikalon nichés au pied d’une falaise de plus de deux mille mètres. Régulièrement, un craquement sourd, suivi d’un souffle puissant nous fait lever les yeux. D’énormes blocs de séracs dégringolent du haut de la falaise pour se transformer en  aérosol pendant leur chute. De retour au camp, plus bas dans la plaine, je me lance dans une toilette en règle avec rasage à l’eau glacée... Cool ! La soirée s’annonce bien et déjà Bernard nous annonce qu’il est Ricard moins le quart. Malgré mes responsabilités d’accompagnateur, je me sens presque en vacances….

 

Tiens voilà, un nouveau dans le camp… Un grand gars aux allures d’échassier descend de la montagne vers notre campement, d’un pas las mais décidé : un bonnet enfoncé sur la tête, un harnais, modèle soviétique 1982, à la taille, les mains couvertes de gants. Que nous veut-il ? Il aborde Serge qui le renvoie vers moi. « Stradvousdië…Hilfe, climbers…Padat… » Dans un sibir d’anglais, de russe et d’allemand, le nouveau venu nous explique qu’il fait partie d’une cordée de lituaniens, qu’ils sont bloqués dans le Pic Alaudin à la suite d’une chute de pierres, qu’une femme est blessée à la jambe, immobilisée…  qu’ils ont besoin de secours.

 

 

 

 

 

Surtout pas d’improvisation ! Rapidement, je fais quelques calculs : il est maintenant 17h45, la nuit tombe à 20h00. Le Col Alaudin est situé à plus de 1000 mètres au-dessous de nous. Avec une marche forcée, on peut y arriver vers 19h30. Cela ne nous laisse que très peu de temps ! Il faut monter de l’eau, des vivres, la pharmacie, des vêtements chauds, des lampes frontales avec des piles neuves. Il faut en effet prévoir de passer la nuit sur place, à quelques 4000 mètres, avec des températures de l’ordre de -5°C et du vent. Rapidement, je rassemble une « colonne de secours avec Amri, notre infatigable guide local, Vatou le chef ânier qui doit monter avec son « âne bleu », Serge, notre infirmier, Patrick, toujours en quête de challenge physique, le Grand Bernard qui a une bonne expérience de la haute montagne.

 

Amri part devant avec un rythme de 700 m/h. Inutile de le suivre, je me cale plus sagement sur un rythme de 600 m/h car il faut garder un peu de réserve pour les opérations de secours proprement dites. Je soupçonne en effet quelques surprises… L’équipe fait mieux que suivre ce rythme, Patrick et Serge caracolant devant. Seul « l’âne bleu » n’en fait qu’à sa tête en alternant accélérations et séances contemplation lorsque l’herbe est à son goût. Enfin, au bout d’une course épuisante, nous atteignons le col à plus de 3800m. Le Pic s’élève 400 mètres au-dessus. Des parois nous entendons des voies. Il est 19h30 et l’obscurité commence à tomber. Notre lituanien nous indique un pierrier avec une pente de 45° et s’engage sans précautions dedans. Je râle : ce pierrier est « pourrave » à souhait. De gros blocs sont enchâssés dans une gangue de marne ; impossible de s’appuyer dessus sans les faire dévaler. On marche sur des œufs avec un risque évident de sur-accident ! Je fais donc monter mon équipe, un par un. Nous arrivons enfin à un collet. Nous sommes tous épuisés. Les « naufragés » sont maintenant à deux longueurs : une succession de vires exposées, de difficulté II à III couvertes de gravier et communiquant entre elles par des goulottes dégoulinantes de pierres. Un vrai terrain « Oisans ». Pas le temps de poser des relais. Amri et Vatou sont déjà devant, je pars avec le grand gaillard et Serge. Mon lituanien s’épuise plutôt qu’il ne monte  et fait partir à chaque pas de véritables avalanches de pierres. C’est pire qu’à Gravelotte, ça tombe de tous les côtés. Serge se met sagement à l’abri. Je le devance et continue ma progression en maudissant à haute voix ces alpinistes en peau de lapin qui nous font prendre des risques inconsidérés : « Eta nie Karacho… Eta apasnie.. ». Enfin , j’aperçois la plateforme où s’est réfugiée la cordée. Il ne faut plus perdre de temps maintenant, car la nuit est là. Bientôt toute descente libre  sera interdite! Je crie à Amri « Bistra, bistra… Vite, vite ». J’atteins enfin la plateforme. Vatou a pris les choses en main et a déjà chargé la blessée en utilisant comme cacolet, un sac à dos qu’il a troué. Il s’engage résolument dans les vires. Je l’assure avec la corde dans une descente largement incontrôlée… «Bistra, bistra … ». Les autres naufragés, apathiques, trainâssent, alors que nous évoluons maintenant à la seule lumière de nos frontales : « Bistra, bistra… ». On assure tant bien que mal… Enfin le collet. On souffle, on fait le point. Esther, la blessée, une vingtaine d’année, est jolie comme un cœur ! Elle sourit, confiante. Rapidement, Serge vérifie l’état de sa jambe : une hémorragie à la cuisse et un quadriceps écrasé par la chute d’un rocher ; pas de fracture apparente. Un bandage rudimentaire, une première prise de médicaments d’urgence. On l’habille, la réchauffe… On s’occupe aussi du grand gaillard qui commence à tourner de l’œil. Enfin nous nous engageons dans le pierrier « pourrave ». La technique d’assurage est rudimentaire : Le porteur et la blessée font une chute freinée par une corde tenue par deux gaillards qui jouent le rôle d’ancre flottante. Ce n’est pas dans les procédures de l’Ensa… Mais ça marche !

 

Au pied du pic, « l’âne bleu » nous attend paisiblement. Enfin, nous chargeons Esther sur son dos. Il est 21h et un vent glacial nous invite à une descente rapide. Je ne comprends pas pourquoi nos lituaniens sont allés dans une voie aussi peu sympathique, et pourquoi ils n’ont pas essayé de descendre Esther par leur propres moyens, au moins jusqu’au col avant la nuit. En effet, avec sa tenue légère, sa blessure, et ce froid… cette nuit sur la plateforme aurait pu être la nuit de trop. La descente est interminable… Je n’en peux plus après ce dernier effort (et quelques 2500 m de dénivelée dans la journée…). Je me shoote au Guronsan pour pouvoir tenir le coup. Mon camarade lituanien n’est pas dans un bien meilleur état. Enfin, nous arrivons au camp où notre équipe nous fait fête. Nous installons Esther dans la tente mess et restaurons notre monde. Il est 23h. Serge perfectionne son bandage, fait les ultimes vérifications. Tous est sous contrôle. Nous nous couchons enfin à minuit. Le Guronsan fait maintenant son effet et je ne ferme pas l’œil de la nuit….

 

Le lendemain, nous confions Esther à une équipe d’âniers qui descend rapidement vers la vallée où se trouve un centre médical. Il est en effet urgent après un tel choc de l’hospitaliser pour éviter tout risque de thrombose. Pour nous, le programme est plus classique : La traversée du Col Alaudin !

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Sauvetage au Pic Alaudin (Tadjikistan)

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